Insuffisance corticotrope secondaire à la corticothérapie
1. Circonstances de survenue
L’utilisation prolongée de glucocorticoïdes peut entraîner une insuffisance corticotrope par freination de la production de CRH (corticotrophin releasing hormone) hypothalamique et de l’ACTH (adrénocorticotrophine) hypophysaire. Habituellement, cette inertie de l’axe corticotrope se corrige spontanément en quelques jours à l’arrêt de la corticothérapie sauf si le traitement a été prolongé, et/ou administré à fortes doses (mais aussi en fonction de susceptibilités individuelles). Ainsi, tout patient ayant été traité pendant au moins 3 semaines par une dose quotidienne supérieure ou égale à 7,5 mg d’équivalent prednisone doit être considéré comme potentiellement en insuffisance corticotrope lors de la décroissance dès lors que la posologie du glucocorticoïde devient inférieure à 7,5 mg/jour. Il faut également connaître la possibilité d’insuffisance corticotrope liée à l’irradiation de l’hypophyse.
Le risque d’insuffisance corticotrope est sous-estimé pour les patients recevant une dose inférieure à 7,5 mg/jour. Les conséquences de la méconnaissance de cette situation sont :
- de ne pas prévenir une décompensation aigüe en cas de stress important (infection, chirurgie…)
- de confondre les signes d’insuffisance corticotrope avec les signes d’une poussée de réaction du greffon contre l’hôte (GVH) chronique (asthénie, anorexie, perte de poids…) qui pourrait se développer à la faveur de la baisse de la corticothérapie.
Il existe également un risque lors du sevrage de corticoïdes inhalés (1, 2) . Le budesonide oral, quant à lui, bien qu’administré à usage local, présente néanmoins une biodisponibilité systémique (environ 10% chez le sujet sain) pouvant entraîner des interactions médicamenteuses , notamment avec les inhibiteurs de l’isoenzyme CYP3A4 du cytochrome P450 et, en particulier, les azolés (itraconazole, kétoconazole) (3) . Ces produits peuvent augmenter les concentrations plasmatiques du budésonide (par diminution de son métabolisme hépatique sous l’effet de l’inhibiteur enzymatique). Il en résulte un aspect pseudo-cushingoïde clinique et un risque d’insuffisance surrénalienne. Dans ces situations, généralement l’arrêt d’un des 2 traitements suffit à stopper le processus.
2. Signes cliniques
En l’absence de correction de l’inertie corticotrope, des signes d’insuffisance surrénalienne lente peuvent apparaître Les symptômes incluent fatigue, faiblesse, anorexie, nausées, vomissements, perte de poids, hypotension orthostatique, et occasionnellement hypoglycémie.
3. Diagnostic biologique
Hyponatrémie, hyperkaliémie (parfois isolée), tendance à l’acidose ou à l’hypercalcémie, glycémie à jeun à la limite inférieure de la normale (0,6 g/l) peuvent orienter vers une insuffisance corticotrope. Ces manifestations sont cependant souvent tardives du fait de l’absence de déficit minéralocorticoïde. Le diagnostic d’insuffisance corticotrope peut être posé après sevrage complet de toute corticothérapie orale ou inhalée (48h pour les corticoïdes de synthèse et 24h pour l’hydrocortisone) à partir du moment où la cortisolémie est inférieure à la limite inférieure du dosage. Le prélèvement doit idéalement être fait à domicile pour limiter le « stress » du déplacement susceptible de rendre le dosage faussement positif.
Le test au Synacthène® (béta 1-24-corticotrophine) n’est pas obligatoire, il peut cependant être proposé quand le résultat du dosage de la cortisolémie est douteux. La réalisation d’un test au Synacthène® comporte un prélèvement de la cortisolémie à 8 heures à jeun, l’administration de béta 1-24-corticotrophine IV à raison de 250 µg, puis la mesure de la cortisolémie 60 minutes plus tard. Toute corticothérapie doit être interrompue idéalement depuis 48 heures. Quand le test est positif, la cortisolémie, inférieure à la normale en base, ne s’élève pas à plus de 20 µg/dl et ne double pas une heure après stimulation.
Ce test permet de confirmer l’absence de réactivité de la surrénale mais n’évalue pas la réactivité hypophysaire qui, elle, nécessite des explorations davantage spécialisées devant être réalisées en milieu endocrinologique, tels une hypoglycémie insulinique ou un test à la métopirone. Ces derniers tests sont également utiles en cas de résultats discordants lors de l’épreuve au Synacthène® ou en cas de suspicion de test faussement normal lorsque la suspicion clinique est forte.
4. Traitement
Lorsque les dosages confirment l’existence d’une insuffisance corticotrope, il est souhaitable, si la corticothérapie de synthèse peut être arrêtée, de la remplacer par de l’hydrocortisone naturelle. L’hydrocortisone a en effet une demi-vie beaucoup plus courte et un effet moins freinateur, qui peuvent permettre après 4 semaines de traitement ou davantage la récupération d’une fonction corticotrope. Cette récupération peut néanmoins demander jusqu’à 1 an.
L’hydrocortisone doit être instaurée à raison de la moitié aux 2/3 le matin, le reste à midi dans le but de mimer la sécrétion physiologique.
5. En pratique
5.1. En fonction du délai
Si le délai de la corticothérapie est de moins de 3 mois, sur un sevrage progressif, on peut arrêter complètement sans relais. Il faut néanmoins réaliser un dosage de la cortisolémie à 8h et un ionogramme (Na + et K + ) 48 heures et 1 semaine après l’arrêt. Le prélèvement devrait être fait à domicile pour limiter le « stress » du déplacement pouvant rendre le dosage faussement positif.
En cas de délai supérieur à 3 mois, il est préférable d’entreprendre un relais par l’hydrocortisone à la posologie de 20 à 30 mg/jour. Il faudra doser la cortisolémie, 1 mois après le relais (avant la prise de 8 heures), puis entreprendre une décroissance progressive de l’hydrocortisone en fonction des dosages.
En cas de doute, un test au Synacthène® est à envisager :
- une cortisolémie de base à 8 h normale et un pic de cortisolémie après synacthène supérieur à 2 fois le taux de base permettent de conclure à une fonction surrénalienne normale et d’arrêter l’hydrocortisone.
- si la cortisolémie de base est basse et reste insuffisante sous Synacthène ® , le patient est en insuffisance surrénalienne et le traitement substitutif doit être maintenu. Le test au Synacthène ® peut être de nouveau réalisé après 3 à 6 mois.
- En cas de résultats discordants, il faut prendre un avis endocrinologique en vue de la réalisation de tests plus spécialisés comme une hypoglycémie insulinique ou un test à la Métopirone®.
5.2. Prévention de l’insuffisance surrénalienne aiguë
En cas de stress aigu (sepsis, chirurgie, traumatisme, diarrhée…), il faut envisager un traitement substitutif pour des doses de prednisone inférieures à 7,5 mg/j car il existe un risque d’insuffisance surrénalienne aiguë. Pendant cette phase, une dose d’hydrocortisone de 100 mg/jour doit être délivrée (par voie IV ou IM).
5.3. En pédiatrie
Si la posologie administrée est inférieure à 15 mg/m² d’équivalent d’hydrocortisone, il faut réaliser un dosage du cortisol à 8 heures.
- Si > 8 µg/100 ml : faire un test au Synacthène ® à faible dose,
– Si test > 16 µg/100 ml (positif) : pas de substitution,
– Si test = 16 µg/100 ml : administrer de l’hydrocortisone en cas de situation aigue à 40 mg/m² puis faire un test Synacthène ® tous les 2 mois - Si < 8µg/100 ml : faire une substitution à 15 mg/m² en 2 prises par jour et doublement de la dose en cas de stress. Contrôler la cortisolémie 1 fois par mois, à 8 heures.
Ostéoporose
La prise en charge reste à l’heure actuelle hétérogène. Il existe quelques recommandations récentes spécifiques (EBMT 2012, groupe allemand 2011). Il existe par ailleurs des recommandations pour la population générale éditées par l’HAS.
En post-greffe, de nombreux facteurs de risque s’additionnent tels que l’insuffisance gonadique, la corticothérapie, le défaut d’activité physique engendré par l’asthénie, la dénutrition, la carence fréquente en vitamine D pouvant favoriser le développement ou l’accélération de l’ostéoporose. Celle-ci peut être aggravée par une insuffisance somatotrope, une hyperthyroïdie ou une hyperparathyroïdie surajoutée. Il est donc essentiel de la prévenir (1, 4-7) .
1. Place de la supplémentation vitaminique
En pré-greffe, le dépistage d’une carence vitaminique doit être effectuée et une supplémentation entreprise si nécessaire.
En post-greffe, une évaluation systématique des apports calciques doit être effectuée. L’apport de 1g de Ca ++ par jour est généralement difficile à atteindre par les seuls apports alimentaires (en sachant que 2 yaourts et 30 g de fromage apportent environ 600 mg de calcium). En cas d’instauration d’une corticothérapie, une supplémentation doit être associée. Au préalable, des dosages du Ca ++ et de la vitamine D (25-0H) seront réalisés. La supplémentation doit comporter un apport minimum de 1g de Ca ++ par jour (en tenant compte des apports alimentaires) et de la vitamine D, soit sous forme de gouttes quotidiennement, soit en ampoules de 100 000 UI, à raison d’une ampoule par mois. En cas de carence préalable, il est généralement recommandé d’administrer une ampoule à 100 000 UI par semaine pendant 3 à 4 semaines puis de contrôler.
2. Place de la densitométrie osseuse (DMO)
L’indication dépend de l’existence de facteurs de risque, ces derniers étant présents dans la majorité des cas : GVH chronique, corticothérapie > 7,5 mg/jour et pendant plus de 3 mois, antécédent fracturaire, immunosuppression prolongée, âge > 60 ans, leucémie aigue lymphoblastique, myélome multiple, insuffisance gonadique, hyperthyroïdie.
Sauf évènements précoces, une DMO doit être proposée 1 an après greffe. Des évaluations ultérieures sont à discuter au cas par cas.
3. Place des bisphosphonates en post-greffe
A l’heure actuelle, il n’existe pas de recommandation dans cette situation précise. Cependant, l’HAS préconise d’administrer un bisphosphonate en cas de T-score inférieur à 1,5 associé à une corticothérapie prolongée. En cas d’ostéoporose avérée, un suivi conjoint avec un rhumatologue est nécessaire.
4. En pédiatrie
Il existe des recommandations pédiatriques en général pour la substitution vitamino-calcique (période hivernale). La supplémentation est par ailleurs indispensable en cas de corticothérapie prolongée. A l’heure actuelle, il ne semble pas exister d’élément pouvant définir la place de la DMO.
5. Questions résiduelles
- 20% des patients seraient ostéopéniques avant la greffe. Quelle est la place d’une DMO d’évaluation pré-greffe ?
- Quelle est la place de la DMO et des bisphosphonates en situation pédiatrique ?
- Existe-t-il un intérêt à un traitement « pré-emptif » par bisphosphonates en cas de corticothérapie prolongée et d’un T-score limite sur la DMO ?
RÉFÉRENCES
1. Majhail NS, Rizzo JD, Lee SJ, Aljurf M, Atsuta Y, Bonfim C, et al. Recommended screening and preventive practices for long-term survivors after hematopoietic cell transplantation. Bone Marrow Transplant2012 Mar;47(3):337-41.
2. Brennan BM, Shalet SM. Endocrine late effects after bone marrow transplant. Br J Haematol2002 Jul;118(1):58-66.
3. El Fakih R, Obi GA, Scholoff A, Carrum G, Kamble RT. Systemic effects of oral budesonide in hematopoietic transplant: implications of drug interaction with azoles. Bone Marrow Transplant2012 Oct;47(10):1370-1.
4. Yao S, McCarthy PL, Dunford LM, Roy DM, Brown K, Paplham P, et al. High prevalence of early-onset osteopenia/osteoporosis after allogeneic stem cell transplantation and improvement after bisphosphonate therapy. Bone Marrow Transplant2008 Feb;41(4):393-8.
5. Stern JM, Sullivan KM, Ott SM, Seidel K, Fink JC, Longton G, et al. Bone density loss after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation: a prospective study. Biol Blood Marrow Transplant2001;7(5):257-64.
6. Hautmann AH, Elad S, Lawitschka A, Greinix H, Bertz H, Halter J, et al. Metabolic bone diseases in patients after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation: report from the Consensus Conference on Clinical Practice in chronic graft-versus-host disease. Transpl Int2011 Sep;24(9):867-79.
7. Chae YS, Kim JG, Moon JH, Kim SN, Lee SJ, Kim YJ, et al. Pilot study on the use of zoledronic acid to prevent bone loss in allo-SCT recipients. Bone Marrow Transplant2009 Jul;44(1):35-41.