Dyslipidémies
Même après l’interruption d’une immunosuppression, les malades allogreffés semblent présenter un risque accru de diabète et d’hypertension artérielle comparés à leur fratrie. Les études dans ce domaine ont comporté un ajustement pour l’âge et le sexe et sont indépendantes de l’obésité. Le syndrome métabolique post-transplantation associe, outre une résistance à l’insuline et un état pro-thrombotique ou inflammatoire, une dyslipidémie, une hypertension artérielle et une répartition abdomino-viscérale du tissu adipeux. Il constitue un facteur de maladie cardiovasculaire précoce. Il entraine progressivement un diabète de type 2 et des risques de maladies cardiovasculaires sur athérosclérose. L’incidence de ces complications varie en fonction des études. Selon une revue récente, elle varie de 30 à près de 50% dans les 5 ans qui suivent la greffe.
Une analyse rétrospective récente portant sur près de 350 receveurs de greffe de moelle a montré que la moitié présentait un taux de cholestérol supérieur à 2 g/l 3 mois après la greffe et que la médiane des taux de cholestérol et de triglycérides augmentait en pourcentage respectivement de 33% et 66% chez l’adulte, et de 50 et 100% chez l’enfant par rapport aux valeurs pré-greffe. Une hypertriglycéridémie sévère était observée chez près de 5% des adultes et 8 % des enfants. La prévalence de maladies cardiovasculaires prématurées chez les transplantés de moelle n’a pas été déterminée mais des cas cliniques récents montrent la survenue de coronaropathies ou d’insuffisances cardiaques précoces et fatales chez ces patients à un âge médian de 35 ans avec une médiane de décès de 7,5 ans après la transplantation. L’hyperlipidémie était présente chez la majorité des patients porteurs d’un taux de lipides documenté à 3 mois.
Rappelons que la dyslipidémie est caractérisée par une hypertriglycéridémie supérieure à 1,5 g/l et un taux de HDL cholestérol bas. Par ailleurs, des taux élevés de LDL cholestérol constituent également un facteur de risque vasculaire (1-3) .
1. Moyens thérapeutiques
1.1. Règles hygiéno-diététiques
Il est nécessaire de diminuer la quantité de graisses saturées, c’est-à-dire d’origine animale (charcuterie, fromage, sauces, fritures). L’alimentation peut être enrichie en acides gras riches en oméga 3 (graines de lin, huile de canola et de noix, germe de blé, soja, maquereaux, harengs, saumons).
Le maintien d’un poids corporel normal et d’un exercice physique régulier est également indispensable.
1.2. Inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase
Les statines diminuent efficacement le taux de cholestérol sanguin et améliorent la survie chez les adultes ayant finalement des taux de cholestérol assez variables, que ceux-ci soient ou non connus comme porteurs d’une coronaropathie. Les statines revêtent des effets pléiotropes et agissent notamment sur la fonction rénale, le contrôle de l’hypertension, l’ostéopénie, la nécrose avasculaire. Toutefois, à l’heure actuelle, la sécurité d’emploi des statines n’a pas été établie chez ces patients. Si le malade est déjà traité par un hypolipidémiant avant greffe, on diminuera la dose de statine lorsque l’on introduit un inhibiteur des calcineurines. De manière générale, il faut éviter de donner les posologies de statine les plus élevées car c’est à ces doses (en général 80 mg) que le risque d’effets secondaires est le plus important. Si la dyslipidémie est sévère, il vaut mieux associer à la statine un inhibiteur de l’absorption des lipides de type ézétimibe qu’augmenter les doses.
Un certain nombre d’hypolipidémiants interfèrent avec les médicaments métabolisés par le cytochrome P3A4. Ces interférences métaboliques augmentent la concentration plasmatique des statines. La pravastatine, la rosuvastatine et la fluvastatine sont métabolisées par des voies alternatives et correspondent au meilleur choix chez les patients requérant une co-administration d’agents inhibiteurs du cytochrome P3A4, comme les immunosuppresseurs ou les azolés.
1.3. Fibrates
Les fibrates réduisent en général les triglycérides de 20 à 50 %. Leurs effets secondaires incluent des lithiases vésiculaires, des troubles du transit intestinal et des myopathies. Le risque de myopathie augmente lorsque le fibrate est associé à une statine, en particulier chez les patients présentant une fonction rénale altérée ou sous ciclosporine. Le fénofibrate est en général un meilleur choix que le gemfibrozil car il a moins d’effets secondaires, en sachant qu’il peut toutefois augmenter la créatinine.
2. Indications thérapeutiques
La décision de débuter un traitement se fait en prévention secondaire (c’est-à-dire chez un malade ayant déjà présenté une complication cardio-vasculaire) ou primaire (chez les patient n’ayant jamais présenté d’événements cardio-vasculaires) mais considérés à haut risque du fait :
- d’antécédents vasculaires familiaux précoces
- d’une albuminurie > 0,3 g/jour ou d’une insuffisance rénale
- d’un diabète de type 2 évoluant depuis plus de 10 ans
ou présentant 2 facteurs de risque cardio-vasculaire parmi:
- Antécédents familiaux de coronaropathie précoce : infarctus myocardique ou mort subite chez le père ou un apparenté mâle du premier degré de moins de 55 ans ; ou chez la mère ou une apparentée du premier degré de moins de 65 ans ; ou antécédents familiaux d’accident vasculaire cérébral à un âge inférieur à 45 ans
- Age > 50 ans chez les hommes, 60 ans chez les femmes
- Tabagisme actuel ou arrêté depuis moins de 3 ans • Hypertension artérielle (HTA), même traitée • HDL < 0,4 g/l
- Microalbuminurie > 30 mg/24h
- Joker: Protection si HDL-cholestérol > 0,60 g/l
Un patient à haut risque cardiovasculaire nécessite le traitement de sa dyslipidémie. Un patient à risque cardiovasculaire faible ou élevé requiert un traitement en fonction :
- de la sévérité de la dyslipidémie
- du pronostic de la transplantation
Un patient à risque cardiovasculaire bas et qui développe une dyslipidémie secondaire peut être traité simplement en adaptant le traitement immunosuppresseur. Le risque cardiovasculaire après allogreffe de moelle est assimilé à celui d’un patient diabétique, la transplantation étant considérée comme un facteur de risque similaire au diabète. Le LDL- cholestérol doit ainsi être inférieur à 1,3 g/l chez tous les transplantés, et inférieur à 1g en prévention secondaire et chez les patients à très haut risque
3. Conduite à tenir pratique
3.1. Surveillance annuelle
Elle comprend le dosage des triglycérides, HDL/LDL cholestérol. Elle doit aussi contrôler les autres risques :
1) Diététique équilibrée, exercice, maintien d’un poids normal
2) Arrêt du tabac
3) Contrôle de la glycémie en cas de diabète ; HbA1c < 6,5%
4) Pression artérielle stable ou HTA contrôlée
Il importe avant tout traitement de doser la TSH, la T4L, la protéinurie des 24 heures, la bilirubine, les phosphatases alcalines et les transaminases de façon à écarter une hypothyroïdie, un syndrome néphrotique, ou une atteinte hépatique.
3.2. Choix du traitement
Si le LDL cholestérol est élevé avec des triglycérides peu augmentés (> 2 g/l), on proposera une statine, de préférence de la pravastatine ou de la fluvastatine à la dose la plus faible pour débuter. En cas d’hyperlipidémie mixte, si les statines ne sont pas parvenues à diminuer à la fois le LDL cholestérol et les triglycérides, on ajoutera de l’ézétimibe ou éventuellement un fibrate. Cependant, cette association augmente le risque de myopathie et il est nécessaire de prendre un avis spécialisé En cas d’hypertriglycéridémie isolée supérieure à 8 g/l, on traitera par fibrate afin d’éviter le risque de pancréatite aigue.
3.3. Surveillance après l’introduction du traitement
Il est nécessaire de surveiller :
- les CPK en cas de myalgies ou de faiblesse musculaire,
- de doser les transaminases (TGO, TGP) au terme de 2 et 4 semaines, puis mensuellement, ou de façon ponctuelle en cas d’évènement nouveau.
Si les transaminases sont à plus de 5 fois la normale ou s’il existe des signes musculaires cliniques, il convient d’arrêter la thérapeutique.
Thyropathies post-allogreffe
Les dysthyroïdies après greffe et en particulier l’hypothyroïdie restent des complications relativement fréquentes. La médiane de survenue est de 4 ans environ. L’incidence de l’hypothyroïdie varie en fonction des conditionnements, avec une fréquence plus élevée en cas d’irradiation corporelle totale (ICT). Elle peut concerner de 10 à 20% des malades ; 7 à 15% de ceux-ci présentent une insuffisance dès la 1 ère année. Il faut par ailleurs tenir compte des antécédents (troubles endocriniens, irradiation de la zone cervicale comme dans certains cas de maladie de Hodgkin…) (4-7) .
1. Place de la surveillance biologique
Une surveillance biologique systématique doit être envisagée à 6 mois post-greffe puis annuellement. Elle comprend un dosage de TSH et de T4L. Ces recommandations sont valables quel que soit le type de greffe (auto/allo) et quel que soit le type de conditionnement myéloablatif (7) . Il n’existe pas de données formelles en ce qui concerne les conditionnements atténués même si certaines études soulignent l’absence de différence. Des études à long terme soulignent la possibilité de dysthyroïdies très tardives (jusqu’à 30 ans post-greffe). Une surveillance à vie est donc nécessaire (8) . La fréquence des dystrophies nodulaires pouvant être évaluée à 20% 20 ans après radiothérapie, une palpation annuelle de la loge thyroïdienne doit être exercée en cas de conditionnement comportant de la radiothérapie.
En cas d’anomalie des dosages de T4L et/ou de la TSH, le diagnostic et la prise en charge peuvent être dans certaines situations plus ou moins complexes. Par exemple, entre 2 à 5% des cas de dysthyroïdie peuvent être d’origine auto-immune. Il est par ailleurs décrit des cas de transfert de maladies auto-immunes telles qu’un Basedow présent chez le donneur. Les mécanismes doivent en être bien analysés. Une surcharge iodée peut également favoriser une hyperthyroïdie, et le stress l’apparition d’une maladie de Basedow. Le traitement immunosuppresseur modifie l’expression de ces affections. Une prise en charge en milieu spécialisé est donc nécessaire pour effectuer le bilan et initier un éventuel traitement.
2. Place de la surveillance échographique
Dans une étude rétrospective européenne portant sur près de 69 000 cas, le risque relatif de cancer thyroïdien est de 3,26, en comparaison avec la population générale. En analyse multivariée, ce risque est d’autant plus élevé que le patient est jeune lors de la transplantation (risque relatif à 24 entre l’âge de 0 et 10 ans; 4,8 entre 11 et 20 ans). L’irradiation multiplie le risque relatif par 3,4, le sexe féminin et la présence d’une réaction du greffon contre l’hôte (GVH) par 2,8. Un tiers des patients était asymptomatique à la découverte du cancer et tous sauf un (sur 32 malades), ont parfaitement répondu au traitement classique par thyroïdectomie et par iode radioactif (IRAthérapie).
Compte tenu des données actuelles, il semble raisonnable d’envisager une surveillance échographique régulière chez l’enfant, probablement annuelle, en particulier si une irradiation a été pratiquée avant l’âge de 10 ans. Dans les autres situations, particulièrement en cas d’antécédent d’ICT, une surveillance clinique annuelle est indispensable avec échographie tous les 5 ans si la palpation est normale, annuelle en cas de palpation anormale (9) .
3. Questions résiduelles :
- Existe-t-il un intérêt à une évaluation biologique avant la greffe, en dehors d’antécédents personnels ou familiaux?
- A quelle date faut-il initier la surveillance échographie chez l’enfant ?
- Faut-il réaliser une échographie systématique chez l’adulte euthryroïdien ?
- Il n’existe pas de données formelles après allogreffe non-myéloablative. Une étude rétrospective, voire prospective, pourrait être utile.
RÉFÉRENCES
1. Gregory JW. Metabolic disorders. Endocr Dev2009;15:59-76.
2. Shalitin S, Phillip M, Stein J, Goshen Y, Carmi D, Yaniv I. Endocrine dysfunction and parameters of the metabolic syndrome after bone marrow transplantation during childhood and adolescence. Bone Marrow Transplant2006 Jun;37(12):1109-17.
3. Annaloro C, Airaghi L, Saporiti G, Onida F, Cortelezzi A, Deliliers GL. Metabolic syndrome in patients with hematological diseases. Expert Rev Hematol2012 Aug;5(4):439-58.
4. Brennan BM, Shalet SM. Endocrine late effects after bone marrow transplant. Br J Haematol2002 Jul;118(1):58-66.
5. Majhail NS, Rizzo JD, Lee SJ, Aljurf M, Atsuta Y, Bonfim C, et al. Recommended screening and preventive practices for long-term survivors after hematopoietic cell transplantation. Bone Marrow Transplant2012 Mar;47(3):337-41.
6. Sanders JE. Endocrine complications of high-dose therapy with stem cell transplantation. Pediatr Transplant2004 Jun;8 Suppl 5:39-50.
7. Sanchez-Ortega I, Canals C, Peralta T, Parody R, Clapes V, de Sevilla AF, et al. Thyroid dysfunction in adult patients late after autologous and allogeneic blood and marrow transplantation. Bone Marrow Transplant2012 Feb;47(2):296-8.
8. Sanders JE, Hoffmeister PA, Woolfrey AE, Carpenter PA, Storer BE, Storb RF, et al. Thyroid function following hematopoietic cell transplantation in children: 30 years’ experience. Blood2009 Jan 8;113(2):306-8.
9. Cohen A, Rovelli A, Merlo DF, van Lint MT, Lanino E, Bresters D, et al. Risk for secondary thyroid carcinoma after hematopoietic stem-cell transplantation: an EBMT Late Effects Working Party Study. J Clin Oncol2007 Jun 10;25(17):2449-54.