Ateliers d'haromisation

2012 Suivi et prise en charge des troubles endocriniens en post-greffe de cellules souches hématopoïétiques – Insuffisance gonadique et fertilité

Insuffisance gonadique

1) Nature des troubles

Une insuffisance gonadique centrale (insuffisance gonadotrope) ou périphérique (insuffisance ovarienne prématurée, parfois encore appelée ménopause précoce) constitue chez la femme une complication fréquente après greffe de cellules souches hématopoïétiques. Cette insuffisance gonadique revêt des conséquences en termes de carence hormonale et d’infertilité (1-5) . Gurgan et al décrivent que la chimio et la radiothérapie réduisent les follicules et favorisent l’atrophie ovarienne. La conséquence principale est de favoriser un état de préménopause. Même si la patiente garde des cycles normaux, cet état de préménopause s’accompagne d’une baisse des réserves en follicules (6) . Une petite série de malades publiée en 2002, mentionnait une incidence d’insuffisance ovarienne prématurée supérieure à 90% chez des femmes allogreffées (3) .

2) Nature des traitements en cause

Plus la patiente est jeune, plus elle a de chances d’avoir une fonction ovarienne préservée du fait d’une plus grande réserve en follicules primaires. La dose d’irradiation nécessaire pour réduire la fonction ovarienne décroit donc avec l’âge. De la naissance à l’âge de 30 ans, la dose de rayons nécessaire est pratiquement deux fois moins importante. Afin de limiter les risques, il a par ailleurs été montré que le fractionnement des doses de radiothérapie jouait un rôle important (6,7) . Chez l’homme, la radiothérapie est rapidement stérilisante et 80% des malades sont azoospermiques après une TBI 12 Gy. Le risque diminue légèrement si le patient a moins de 20 ans et ne présente pas ou peu de GVHD (8) . Dans les situations où une spermatogénèse reste possible il faut compter plus de 5 ans pour retrouver la réserve pré-thérapeutique si la dose d’irradiation est de 4 Gy.

Après chimiothérapie, le taux d’aménorrhée varie dans la littérature entre 40 et 68%. Plus l’âge est élevé, plus le risque augmente. Le risque d’infertilité augmente avec la dose cumulée d’agents alkylants. La procarbazine et/ou le cyclophosphamide entrainent des azoospermies prolongées chez plus de 90% des hommes et une insuffisance ovarienne prématurée chez 5 à 25% des femmes de moins de 30 ans (2,9) .

En phase pré-pubère, les testicules sont beaucoup plus sensibles à la chimio et à la radiothérapie que les ovaires. Les conditionnements recourant seulement à de fortes doses de cyclophosphamide entraînent peu de retards de développement pubertaire. En revanche, le busulfan à haute dose et l’irradiation corporelle totale sont responsables d’une insuffisance gonadique. Les séries étudiées sont le plus souvent réduites, mais la fréquence du retard pubertaire atteint chez les filles et les garçons respectivement 7 et 8% pour le cyclophosphamide, 24 et 44% pour l’association cyclophosphamide-busulfan, 56 à 77% après irradiation à 10 grays. Chez le garçon, le retard pubertaire varie de 38 à 82% si une irradiation testiculaire est en outre nécessaire.

3) Diagnostic

A l’adolescence, le diagnostic repose sur la stagnation de la taille et l’absence d’apparition des caractères sexuels secondaires. Chez la femme ou l’homme adulte, des bouffées vasomotrices sont possibles si l’origine de l’insuffisance gonadique est périphérique, ainsi qu’une atténuation de la pilosité, des troubles de la libido, une disparition des menstruations ou une dysfonction érectile. Les signes sont généralement peu marqués chez l’homme. Il convient de s’assurer de l’absence d’autres étiologies tels qu’une aménorrhée hypothalamique ou un syndrome des ovaires polykystiques.

La GVHD chronique peut poser problème diagnostique. Chez la femme, une étude de Zantomio et al en 2066 fait état d’une incidence de GHVD vaginale de 35% à 1 an et 49% à 2 ans (10) . Pour Spinelli et al, cette incidence est de 25 %. Ils constatent par ailleurs 11% de GVHD génitale dans les 3 premiers mois (11). Cette GHVD est cependant rarement isolée (peau et bouche+++). L’examen gynécologique systématique permet de reconnaître certaines GVH non diagnostiquées. Le traitement repose sur des topiques de corticoïdes ou de la ciclosporine en cas d’échec. Mais Spinelli et al. signalent aussi l’intérêt d’utiliser systématiquement des oestrogènes locaux et par voie générale, car le déficit hormonal participe à l’atrophie de la muqueuse. La biopsie est pour certains recommandée pour distinguer la GVHD et l’hypo-oestrogénie (12) . L’incidence de GVHD génitale chez l’homme est moins connue. Elle est généralement peu sévère. Les topiques de corticoïdes restent le traitement de choix.

4) Traitement de l’insuffisance hormonale gonadique

Prévention :

A l’heure actuelle, pas de consensus pour la prévention quels que soient l’âge et le sexe.

Prise en charge :

  • Femme : Une évaluation ovarienne biologique par dosage de la FSH et de l’oestradiol peut être envisagée, mais elle n’est pas obligatoire si à l’aménorrhée s’associent des bouffées vasomotrices. Une hormonothérapie est recommandée jusqu’à l’âge physiologique de la ménopause et doit être adaptée en fonction des risques cardiovasculaires. Compte tenu des cas complexes cumulant plusieurs facteurs de risque, une consultation spécialisée dite « de contraception difficile » est recommandée.
    Une surveillance gynécologique annuelle est indispensable notamment du fait de l’augmentation du risque de cancer mammaire. Un frottis vaginal est recommandé au minimum tous les 3 ans après l’âge de 21 ans.
  • Homme : Devant le peu de signes spécifiques cliniques , il convient de faire un dosage de testostérone, de SBP (Sex-Binding Protein), de FSH et de LH, à 1 an. En cas de déficit, il convient d’envisager une consultation spécialisée.
  • Enfant : Il parait indispensable que le suivi et l’évaluation soient réalisés par un endocrinologue pédiatre à la période prépubère (dès l’âge de 10 ans) et à l’adolescence.

Préservation de la fertilité

  • Prévention :
    Sensibiliser les équipes en amont de la greffe car le risque d’impossibilité de prélèvements dans la phase pré-greffe immédiate est très élevé (échecs, contre-indications potentielles, comme le recours aux alkylants).
  • Femme :
    Blocage ovarien ? , Par les agonistes de la GnRH ? Dans le but de supprimer la division cellulaire pendant la chimiothérapie (comme en état pré-pubère). Quelques résultats ont été enregistrées mais l’on manque de données chez les greffés.
    Cryoconservation ovarienne ? Risque de réimplanter la maladie. Nécessité d’une cœlioscopie. L’âge maximal généralement admis est de 30-35 ans.
    Cryoconservation d’ovocytes ? Délai de 3 semaines minimum avant d’initier la stimulation puis ensuite 3 semaines de préparation. Le délai avant greffe est donc souvent trop long. Mais cette technique présente l’avantage de ne pas induire de risque de réimplantation de la maladie et ne nécessite pas d’être en couple. Idéalement avant l’âge de 36-38 ans.
    Congélation d’embryon ? Délai de 3 semaines minimum. Seule technique valable et éthiquement validée. Mais il faut que le malade soit pubère, qu’elle ait un conjoint et que le délai de réalisation soit compatible avec l’hémopathie. Enfin il convient qu’il n’y ait pas de contre-indication d’ordre oncohématologique à la stimulation.
    NB: En France, l’âge limite légal de réutilisation des tissus ou gamètes est de 43 ans chez la femme.
  • Homme : La congélation de sperme
    Les chimiothérapies réalisées antérieurement ne constituent pas une contre-indication absolue. Cependant, il n’existe pas de données actuellement disponibles sur les risques tératogènes. Une information du patient est donc indispensable.
  • Pédiatrie :
    Fille : Une cryoconservation du tissu ovarien peut être proposée quel que soit l’âge, mais rend nécessaire d’une cœlioscopie (soit au-delà de l’âge de 9-12 mois).
    Les techniques de maturation folliculaire in vitro (MIV) sans risque de réintroduction de la maladie restent expérimentales, mais pourraient déboucher sur des applications dans les années à venir.
    Garçon : la préservation d’un fragment de pulpe testiculaire peut être proposée. Il s’agit de la seule solution à l’heure actuelle pour les prépubères. La technique reste cependant en cours de développement et il n’existe pas de résultats interprétables à l’heure actuelle.
    Toutes ces techniques présentent un risque mutagène qui ne peut être chiffré sur des tissus préalablement exposés à la chimiothérapie. Il peut être intéressant de les proposer avant greffe mais en communiquant bien l’information sur les risques encourus. Une collaboration avec un médecin spécialisé dans la reproduction et travaillant dans un centre de préservation régional est indispensable.
    Les informations devraient donc être délivrées au moment de la prise en charge initiale de la maladie. La recommandation principale est d’organiser un réseau d’onco-fertilité dès le début de la prise en charge, ceci nécessitant une étroite collaboration entre hématologiste et médecin spécialisé dans la préservation de la fertilité.

Induction d’une aménorrhée chez les femmes transplantées

L’induction d’une aménorrhée chez les femmes réglées avant la transplantation a pour but de diminuer les hémorragies lorsque les plaquettes baissent. Un traitement hormonal dans ce cas peut être contre-indiqué en cas d’antécédent de cancer mammaire ou ovarien. Le choix du traitement initial dépend de la situation clinique, par exemple de la notion d’hémorragies utérines antérieures, de la nécessité d’une contraception, etc…

Chez les patientes recevant déjà une contraception orale combinée monophasique, le plus simple est de modifier le schéma de prise de cette contraception en recommandant aux malades de prendre la pilule en continu sans observer la période de 4 à 7 jours pendant laquelle cette pilule est habituellement interrompue pour permettre les menstruations. Chez les patientes ne recevant pas de contraception orale, on peut débuter un traitement par mégestrol 20 mg par jour, qui a souvent un effet favorable sur l’appétit et le poids. En France, on privilégie d’ordinaire la chlormadidone ou le nomegestrol en continu. Le traitement progestatif doit être débuté à mi-cycle et au début du conditionnement pré-transplantation. Les analogues de la Gn-Rh peuvent parfois être proposés avec pour avantage de bloquer le cycle durant plusieurs mois, et donc d’entraîner un meilleur contrôle à moyen terme. La fertilité pourrait être préservée. Il existe un risque pendant les 15 premiers jours d’un flare-up nécessitant l’utilisation conjointe d’un progestatif.

Grossesse

L’incidence de la grossesse est estimée d’après une étude de l’EBMT de 2001 à 0.6% des greffés (auto et allo) (14) . D’après cette étude et une autre du CIBMTR de 2011 (13), il est fait état de davantage de grossesses difficiles (prématurité, césariennes) qu’en situation normale, surtout après TBI. Par contre, il n’est pas décrit de risque malformatif. Dans les grossesses où le partenaire est un homme greffé, il n’y a pas de fréquence particulière d’anomalies. Le temps médian entre greffe et grossesse est de 6 ans pour une femme greffée et 7 ans pour un homme. Ce délai est raccourci chez la femme en cas de conditionnement non myéloablatif, mais peu de données sont disponibles sur ce point car cette technique est d’ordinaire proposée au-delà de 40 à 50 ans. La majorité des malades avait été traitée entre 15 et 30 ans et environ la moitié avait présenté une GVHD chronique.

Peu de grossesses ont été décrites chez des patientes traitées dans l’enfance, notamment avant 5 ans. Dans la série de l’EBMT, près de la moitié des patientes présentaient une aplasie médullaire idiopathique et, de ce fait, avaient été moins lourdement traitées.

Une grossesse peut être envisagée 2 ans après la fin de tout traitement. Cependant, l’indication doit être validée conjointement entre les hématologistes et les obstétriciens. Le suivi doit être exercé en consultation de grossesses pathologiques devant le risque de prématurité et de retard de croissance intra-utérin, spécialement en cas d’antécédent d’irradiation utérine.

Recommandation de l’atelier

1 Avant greffe :

prévoir une conservation gonadique si possible :

  • Congélation de sperme (possibilité malgré une chimiothérapie préalable en l’absence d’azoospermie).
  • Chez la femme : conservation d’ovaires, d’ovocytes, blocage ovarien ?
  • En pédiatrie, cryopréservation de pulpe testiculaire ou de tissu ovarien.

2 Pendant la greffe et en post-greffe immédiat :

contraception efficace chez la femme pour limiter les risques hémorragiques, soit en modifiant les modalités de prise de la contraception précédemment utilisée, soit en délivrant un progestatif seul en continu. Discuter l’utilisation des analogues Gn-Rh.

3 en post-greffe tardif (1) :

  • Modifier la contraception « thérapeutique »
  • Voir chez la femme le bilan hormonal à un an de post-greffe et proposer un traitement substitutif. Consultation spécialisée systématique à cet effet et suivi gynécologique annuel. Penser à la GVH vaginale et discuter un traitement de celle-ci s’il existe des signes évocateurs, en plus du traitement oestrogénique.
  • Chez l’homme, pas de substitution systématique en testostérone. Dosage à envisager et consultation spécialisée à discuter.

4 Si désir de grossesse :

un délai de 2 ans semble raisonnable en fonction de la situation clinique. Consultation spécialisée d’aide à la procréation. Si grossesse : surveillance en consultation de grossesse pathologique.

Questions résiduelles

Préservation de la fertilité

  • Intérêt du blocage ovarien en prévention ? Faut-il proposer le même traitement chez la femme et chez l’adolescente ?
  • Surveillance mammaire : à quel rythme? Et selon quelles modalités ?
  • Intérêt de l’évaluation de l’hormone antimullérienne chez la fille, pour l’estimation de la réserve ovarienne?
  • Place des androgènes. Il n’existe pas de données de la littérature sur ce point.

Grossesse :

  • Place des analogues de la Gn-Rh en routine ?
  • Envisager la réalisation d’un document d’information sur la préservation de la fertilité en collaboration avec les centres de préservation régionaux.

Site internet : www.fertilehope.org

RÉFÉRENCES

1. Majhail NS, Rizzo JD, Lee SJ, Aljurf M, Atsuta Y, Bonfim C, et al. Recommended screening and preventive practices for long-term survivors after hematopoietic cell transplantation. Biol. Blood Marrow Transplant. 2012. p. 348–71.

2. Brennan BMD, Shalet SM. Endocrine late effects after bone marrow transplant. Br J Haematol. 2002Jul.;118(1):58–66.

3. Tauchmanovà L, Selleri C, Rosa GD, Pagano L, Orio F, Lombardi G, et al. High prevalence of endocrine dysfunction in long-term survivors after allogeneic bone marrow transplantation for hematologic diseases. Cancer. 2002Sep.1;95(5):1076–84.

4. Dvorak CC, Gracia CR, Sanders JE, Cheng EY, Baker KS, Pulsipher MA, et al. NCI, NHLBI/PBMTC first international conference on late effects after pediatric hematopoietic cell transplantation: endocrine challenges-thyroid dysfunction, growth impairment, bone health, & reproductive risks. Biol. Blood Marrow Transplant. 2011Dec.;17(12):1725–38.

5. Hudson MM. Reproductive outcomes for survivors of childhood cancer. Obstet Gynecol. 2010Nov.;116(5):1171–83.

6. Gurgan T, Salman C, Demirol A. Pregnancy and assisted reproduction techniques in men and women after cancer treatment. Placenta. 2008Oct.;29 Suppl B:152–9.

7. Cohen A, Békássy AN, Gaiero A, Faraci M, Zecca S, Tichelli A, et al. Endocrinological late complications after hematopoietic SCT in children. Bone Marrow Transplantation. 2008Jun.;41 Suppl 2:S43–8.

8. Rovó A, Tichelli A, Passweg JR, Heim D, Meyer-Monard S, Holzgreve W, et al. Spermatogenesis in long-term survivors after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation is associated with age, time interval since transplantation, and apparently absence of chronic GvHD. Blood. 2006Aug.1;108(3):1100–5.

9. Sanders JE, Woolfrey AE, Carpenter PA, Storer BE, Hoffmeister PA, Deeg HJ, et al. Late effects among pediatric patients followed for nearly 4 decades after transplantation for severe aplastic anemia. Blood. 2011Aug.4;118(5):1421–8.

10. Zantomio D, Grigg AP, MacGregor L, Panek-Hudson Y, Szer J, Ayton R. Female genital tract graft-versus-host disease: incidence, risk factors and recommendations for management. Bone Marrow Transplantation. 2006Oct.;38(8):567–72.

11. Spinelli S, Chiodi S, Costantini S, Van Lint MT, Raiola AM, Ravera GB, et al. Female genital tract graft-versus-host disease following allogeneic bone marrow transplantation. Haematologica. 2003Oct.;88(10):1163–8.

12. Dignan FL, Scarisbrick JJ, Cornish J, Clark A, Amrolia P, Jackson G, et al. Organ-specific management and supportive care in chronic graft-versus-host disease. Br J Haematol. 2012Jul.;158(1):62–78.

13. Loren AW, Chow E, Jacobsohn DA, Gilleece M, Halter J, Joshi S, et al. Pregnancy after hematopoietic cell transplantation: a report from the late effects working committee of the Center for International Blood and Marrow Transplant Research (CIBMTR). Biol. Blood Marrow Transplant. 2011Feb.;17(2):157–66.

14. Salooja N, Szydlo RM, Socie G, Rio B, Chatterjee R, Ljungman P, et al. Pregnancy outcomes after peripheral blood or bone marrow transplantation: a retrospective survey. Lancet. 2001Jul.28;358(9278):271–6.

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